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l’apparente aise

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Quel voyage quelle aventure!
Encore sous l’effet du décalage horaire, un pied dans l’eau des caraïbes
et l’autre au fond de mes chaussettes…
Il est temps de noter.

 

Jamais je n’aurais choisi de partir là,
l’opportunité d’une invitation m’y aura menée ;
et la surprise fût totale, au-delà de ce que j’avais pu imaginer,
y être fût tout autre chose.
Comme bon nombre d’entre nous, je ne connaissais Saint Barth’ que pour y avoir vu
Kate, Brad ou Johnny s’y promener dans les Voici et Gala des salles d’attentes de médecin.

 

Saint-Barthélémy est un paysage.
Grandiose et miniature à la fois.
Un paysage de montagnes et de vallées qu’on aurait façonné au plastique fou et fait rétrécir à la cuisson. Il y a quelques routes, étroites, on monte on descend sans cesse, les trajets ne durent jamais plus de quelques minutes. Pourtant les lieux sont bien distincts et semblent lointains les uns des autres. Conduire à Saint-Barthélémy, c’est conduire sur le circuit de petites voitures rêvé par tous les gamins. Car oui, le rapport d’échelle entre l’île et l’être humain semble l’élément essentiel au charme de cet endroit.
Saint Barthélémy c’est la liberté de l’enfance, quand ce n’est pas le retour à la douceur utérine (des plages désertes où l’on se baigne à poil dans l’océan délicieusement tempéré).

 

 

Comme de nombreux endroits sur terre, la vie à Saint Barthélémy a longtemps été rude (exodes, précarité, isolement…) et comme de nombreux endroits sur terre, la modernité a apporté quelques temps l’illusion du réconfort pour finalement glisser dans le délire consumériste, individualiste et urbanisé. (Mais à quel moment exactement avons-nous donc tant dérapé?!). Malgré quelques efforts notoires (pas de panneaux publicitaires, récupération de l’eau de pluie), Saint Barthélémy présente un paysage à la limite de la saturation par l’urbanisation, où l’appât du gain épuise les véritables richesses, non monnayables, de l’île : son paysage, sa faune, sa flore, terrestre et sous-marine… et où l’on voit s’esquisser le point de non retour de ce gâchis. À Saint Barthélémy, ce sont les villas qui poussent, toujours plus grandes, toujours plus luxueuses ; le moindre bout de terre vaut de l’or et toutes les spéculations sont permises. Pour satisfaire l’appétit sans fin de quelques très riches on accepte leurs caprices, quitte à faire intervenir des tribunaux internationaux pour imposer des permis de construire. Les piétons, en plus de subir les grimaces des automobilistes dont ils doivent partager le peu de routes, découvriront une décharge à ciel ouvert, des ravins jonchés de toutes sortes d’objets et de débris, de remblais, de déchets. Les plus pauvres (petites mains indispensables à l’entretien des rêves démesurés des riches) eux n’ont pas le choix, ils doivent circuler en stop, faute de transports en commun. Volonté politique aux intérêts variés. La jeunesse de l’île n’a pour conséquence aucune autonomie. Les loyers sont plus élevés qu’à Paris, mais le smic est le même.

Et pourtant…

Tout ce petit monde « fonctionne », l’endroit est on ne peut plus paisible, les gens courtois,
je n’ai vu personne s’énerver en 10 jours.

 

 

Les Saint Barths vont au supermarché se ravitailler en beurre de Normandie, en picodon et en poireaux importés en containers frigorifiques. Les productions des îles voisines sont tombées en désuétude au prétexte qu’elles coûtent plus cher à faire venir, tout comme les noix de coco abandonnées en abondance dans les luxuriants jardins, juste là pour décorer. À Saint Barthélémy, on est bien aux Antilles, mais on fait comme si on vivait en France ou aux États-Unis.
Le commerce triangulaire est révolu mais l’importation des marchandises « occidentales » est toujours d’actualité… Et c’est là que l’on découvre toute la complexité de l’outre-mer,
car en fait où sommes-nous?!
En France! Oui, l’État et la fonction publique y sont représentés, le bureau de poste de Gustavia est aussi incompréhensible que celui de Rodez sauf si on a une carte « pro », l’électricité coûte le même prix sur la facture, la loi Littoral garantit encore un accès public aux plages…
Mais, dans ce morceau de France, on paie en euros… et aussi en dollars.
On parle officiellement français… pourtant, derrière le brouhaha des touristes américains, on perçoit d’autres intonations, j’ai rencontré plusieurs écoliers en début d’apprentissage du français.
Et pour travailler… il vaut mieux se débrouiller en anglais! (l’histoire singulière de Saint Barthélémy offre même des noms des rues bilingues français-suédois).
Enfin, au bout de cinq ans de résidence, on devient exempt d’impôts.

 

 

Alors alors… c’est quoi Saint Barth’?
Me voilà bien démunie devant la foison de slogans sur tous supports louant l’esprit Saint Barth’… car j’avoue, j’ai ressenti quelque chose de cet ordre.
Un je ne sais quoi convaincant en dépit de mes critiques.
Il y a plusieurs mondes à Saint Barthélémy, qui se croisent, se mélangent, et savent aussi très bien se cloisonner. Comme de précieux amis avec qui partager le plaisir d’être ensemble tout en s’engueulant sur la politique ne gâche jamais l’envie de recommencer.

Saint Barthélémy a le goût de l’innocence et l’ivresse des marins,
puisse-t-elle accéder à la sagesse de la maturité.

PS : Karine, la libraire de Gustavia recrute un employé! Faites-passer!

7 IV 14


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