deux mois après
ce qui chemine
« Je pense que l’arrivée de la PAO (publication assistée par ordinateur) et son expansion si rapide participent à une avancée significative de la démocratie et de la liberté d’expression des hommes. C’est un phénomène qui va dans le même sens que celui de la libéralisation des chaînes de radio et de télévision. La PAO est devenue un fait de société incontournable, comme le furent l’invention de la typographie en son temps et récemment celle d’Internet. En conséquence, chaque personne concernée devrait pouvoir maîtriser l’expression typographique de sa langue (de même qu’elle a déjà appris à lire, écrire et compter) ; sinon on aboutit à du n’importe quoi, c’est à dire une régression culturelle, et c’est ce qui arrive trop souvent. La PAO est si récente que la formation qu’elle exigerait est bien loin d’être en place. »
Yves Perrousseaux – Manuel de TYPOGRAPHIE FRANÇAISE élémentaire
Atelier Perrouseaux éditeur – 1995
Il y a quelques mois, lors d’un conseil d’école, alors que les adultes à qui je confie l’instruction de mes enfants nous distribuaient un document de travail, je déplorais l’absence récurrente d’accent sur un E majuscule (pour ceux qui ont suivi, la réforme de la semaine de 4 jours et demi a instauré des activités péri-éducatives, dites APÉ…). Remarque qui fit sourire sinon rire l’assemblée. Et le corpus enseignant de m’affirmer que c’est la règle en vigueur pour les lettres capitales.
Mes études m’ayant appris une autre vérité, j’eus envie de comprendre d’où venait cette appropriation erronée de l’usage de la typographie. Le livre cité ci-dessus m’expliqua comment les lettres capitales avec accent disparurent parfois des presses, lorsque les accents débordaient le corps des caractères en plomb et se cassaient (bien que certains s’en accommodaient, les typographes, professionnels, savaient aussi ruser) ; puis, et c’est là que la confusion s’installe, à la fin du XIXe siècle. La révolution industrielle produit ses premières machines d’imprimerie ou de secrétariat… premiers modèles anglo-saxons, donc sans accents. La poignée d’années qui s’ensuit habitue les lecteurs à ces entorses, et l’arrivée de modèles francophones ne suffit pas à réparer l’erreur. Ainsi, « pendant près d’un siècle, on a justifié ces contraintes techniques par cette idée reçue idiote, alors qu’il aurait été plus honnête de la reconnaître. » Les logiciels de traitement de texte ont depuis leur apparition largement remédié à ce problème, et pourtant l’enseignement de la dactylographie n’a pas été actualisé, sauf dans les formations spécifiques… même pas si sûr. C’est pourquoi, en 2015 encore, je reçois des courriers dans lesquels je m’appelle Anais [anɛ], soit quelque chose comme « âne-haie ». (J’ai aussi trois enfants que l’administration frrrrançaise nomme avec la plus grande désinvolture [ətiɛn], [valəʁ], et [ãdʁ].)
En 2015, et depuis déjà plusieurs décennies, alors que les ordinateurs équipés d’un clavier Azerty permettent d’écrire la langue française dans toute sa subtilité, l’État et ses représentants les premiers, persistent à ignorer, ou minimiser, cette règle pourtant fondamentale, tant dans l’apprentissage de la langue que dans son usage. La diffusion d’informations, la publication d’ouvrages, d’affiches, la fabrication d’enseignes avec des fautes typographiques (et orthographiques) contribuent non seulement à installer une médiocrité ambiante, mais révèle aussi un appauvrissement de la langue et les difficultés à communiquer qui en découlent ; quand s’exprimer clairement devient un obstacle, on sait que le terreau de la frustration est là.
extraits du livre Manuel de TYPOGRAPHIE FRANÇAISE élémentaire, Yves Perrouseaux.